Jun 16, 2010

La yourte urbaine, une espèce en voie d'extinction

Il pleuvait lorsque, à Oulan-Bator, on est sorti du Transsibérien. Elsa et moi avions hâte de déposer notre équipement, de prendre une douche et de bouffer chaud.

L'appartement qu'on a loué se révèle être une espèce de gros bloc carré de béton aux murs extérieurs fissurés, plantés de fenêtres et balcons. Souvenirs de l'époque soviétique. L'intérieur n'en reste pas moins accueillant et fonctionnel: réfrigérateur, four, laveuse, bain, deux divans, lit, table, télé. C'est ici qu'on passera les prochaines semaines; c'est également ici que Sarah et Eric nous retrouveront avant la fin du mois.



Un matin.
5h AM.
Elsa dort toujours.
Je sors prendre l'air.

Je longe la première rue en direction opposée du centre-ville. Ma promenade m'amène dans un de ces îlots de gers (terme mongol pour désigner une yourte). Ici, il y a plusieurs de ces ghettos de cabanes de bois et de gers qui nous rappellent qu'Oulan-Bator est – avant d'être une métropole – une capitale en pleine transformation, en pleine crise d'adolescence municipale. Une ville où la tradition s'éclipse au profit d'une société de consommation.
Dans cette banlieue, des chiens errants aux poils longs et gommés se chamaillent. Des centaines de pigeons déjeunent en face d'un temple bouddhiste. Des sans-abris fouillent dans les poubelles. C'est sur une de ces rues de poussière que je fais la rencontre de Luya. L'homme de 56 ans se promène avec deux bidons vides.
Il se rend à une espèce de mini-caserne pour les remplir d'eau. On se salue; je l'aide autant que faire se peut. Il finit par m'inviter à déjeuner chez lui. Luya habite dans un ger planté au coeur du quartier.
En entrant, une vieille dame me fixe du regard. Elle ressemble à un bouddha de restaurant asiatique. Elle est ronde, joufflue et chauve. Son regard louche vers la droite. La mère de Luya a 95 ans; elle est pratiquement sourde et aveugle.
Ils sont trois à vivre dans ce qui a la grandeur de ma chambre à Montréal. À quelques mètres, une des filles de Luya dort dans un lit.

Un ger, c'est un petit bijou d'ergonomie. Au centre: un réchaud et une petite table. Autour: trois lits qui servent de sièges durant la journée, un réfrigérateur, un petite table avec un bouddha, des photos de famille, des chandelles et une télévision (qui nous permettra quelques minutes plus tard de regarder le Mondial ensemble).

Bref, pendant près de deux heures, Luya et moi échangeons sourires et signes. En étalant ses photos, il me raconte ses années dans l'armée mongole, la rencontre avec celle qui deviendra son épouse, le déménagement d'une de ses filles au Japon. Comme maigre propos, je dessine un canot sur une feuille et je lui montre sur une carte les rivières qui relient le lac Khovsgol au lac Baïkal.

C'est pour dire, l'instant d'un moment, j'oublie que je suis au coeur d'Oulan-Bator. Qu'à quelques mètres, ça fourmille de monde. Qu'une métropole se bâtit, là, à coups de marteau pilon et d'échafaudages. Que nos canots arrivent dans quelques jours de la Chine et que nous devons remplir de la paperasse pour les douanes. Que nous devons nous renseigner sur le prolongement de nos visas... et que d'ici une quinzaine d'années les gers comme celle de Luya risquent de disparaître de la ville au profit d'appartements bétonnés.
Par Ulysse Bergeron

1 comment:

camionneuse said...

T'avais raison Ulysse! En voyage, c'est toujours quand on est seuls qu'on fait les rencontres les plus marquantes. On parrait moins menaçants, et c'est plus d'égal à égal.

Et puis, une yourte, ça m'a l'air plus confo qu'un camion!

Tu prends des photos de la structure? Comme ça tu pourras t'en construire une ici!

Merci de nous faire partager!